Le graphène est célèbre pour le comportement singulier de ses électrons « sans masse », mais ses propriétés mécaniques sont tout aussi remarquables. Quoiqu’épais d’un seul atome, le graphène constitue une membrane à la fois extrêmement rigide (dans son plan), résistante et flexible. Si l’on ajoute à cela que le graphène adhère très fortement aux substrats typiques sur lesquels on le dépose et qu’il est imperméable aux gaz, on comprend alors qu’il soit possible de réaliser de véritables bulles de graphène (a), dont la forme et le mouvement peuvent être finement contrôlées. Ces « tambours » de graphène sont très prometteurs en tant que nano-systèmes électro-mécaniques ou opto-mécaniques. Leurs propriétés mécaniques « statiques » ont jusqu’à présent été étudiées à l’aide de techniques à sonde locale, comme la microscopie à force atomique et la nanoindentation.
Des chercheurs de l’Institut de Physique et Chimie des Matériaux de Strasbourg (IPCMS, UMR 7504) viennent de réaliser la première étude tout-optique des propriétés mécaniques d’une bulle de graphène sous pression. Grâce à des mesures de spectroscopie micro-Raman, les physiciens ont non seulement pu cartographier la distribution des contraintes mécaniques à la surface de la bulle, mais aussi sa topographie. Ces travaux, qui viennent d’être publiés dans la revue Physical Review Applied, sont directement adaptables à l’étude des propriétés mécaniques relativement méconnues d’autres membranes bidimensionnelles, comme les chalcogénures de métaux de transitions. Par ailleurs, cette méthode optique, donc « sans contact » offre des perspectives prometteuses pour la réalisation de sondes de pression très sensibles et pour mesurer en temps réel les vibrations et les déformations des nano-résonateurs mécaniques.

Figure 1: (a) Schéma d’une bulle de graphène suspendu. (b) Spectres Raman mesurés au centre de la bulle pour différentes différences de pression. (c) Reconstruction de la topographie de la bulle à Dp=74 kPa à partir de l’intensité du pic Raman G. (d) Cube de la hauteur de la bulle en son centre en fonction de la différence de pression. La pente de la droite obtenue permet de déduire le module d’Young.
Pour réaliser des bulles de graphène, les chercheurs ont tout d’abord fabriqué des « micro-puits cylindriques » de 8 micromètres de diamètre et de quelques centaines de nanomètres de profondeur, creusés dans un substrat de silicium recouvert d’une fine couche d’oxyde de silicium. Ces puits ont ensuite été « scellés » par des monofeuillets de graphène, formant ainsi des micro-cavités optiques. En plaçant ces cavités sous un vide total ou partiel, une différence de pression se crée entre l’intérieur du puits, dans lequel sont emprisonnées des molécules d’air, et le milieu extérieur. Ceci a pour effet de gonfler la bulle de graphène (a). Dans ces conditions, la mesure du spectre de la lumière diffusée par les vibrations élémentaires (phonons) du cristal de graphène est extrêmement enrichissante (b). D’une part, nous constatons qu’en raison des contraintes mécaniques induites par la différence de pression, la fréquence des pics de diffusion Raman diminue. D’autre part, l’intensité des pics Raman varie considérablement en fonction de la différence de pression, c’est à dire de la hauteur de la membrane de graphène. Il s’agit là d’un effet d’interférences optiques, dont l’analyse détaillée permet de reconstruire fidèlement la topographie de la bulle (c). Il est alors possible de:
i) déterminer la déformation de la bulle et de la corréler aux déplacements des pics Raman. Ceci fournit les paramètres de Grüneisen.
ii) de corréler la hauteur maximale atteinte par la bulle à la différence de pression. Cette hauteur est proportionnelle à la racine cubique de la différence de pression, comme cela est prédit par la théorie de Hencky, développée il y a un siècle pour une membrane sans rigidité flexurale (comme le graphène). Le coefficient de proportionnalité fournit une mesure du module d’Young du graphène de 1 TeraPascal (d), en excellent accord avec des mesures de nanoindentation qui ont fait date dans l’histoire du graphène.
Référence:
“All-optical blister test of suspended graphene using micro-Raman spectroscopy » , Dominik Metten, François Federspiel, Michelangelo Romeo, & Stéphane Berciaud, Physical Review Applied, 2, 054008
Contact chercheur : Stéphane Berciaud, maître de conférences
Institut de physique et chimie de matériaux de Strasbourg (IPCMS, UMR 7504)