Des physiciens ont mis en évidence et analysé les processus élémentaires de transfert d’énergie et de transfert de charge à l’interface entre un semiconducteur bidimensionnel et une couche de graphène, tous deux soumis à une excitation optique. Comprendre les processus photophysiques élémentaires dans de telles « hétérostructures de van der Waals » est un défi important pour la réalisation de nouveaux dispositifs opto-électroniques et opto-spintroniques.
La désormais célèbre famille des matériaux bidimensionnels, tels que le graphène (semi métal), les dichalcogénures de métaux de transition (TMD, semiconducteurs), le nitrure de bore (isolant), constitue une véritable boîte à outils pour l’étude de phénomènes physiques en dimensions réduites mais aussi pour le développement de nanodispositifs innovants. En particulier, des dispositifs opto-électroniques, qui allient les propriétés optiques exceptionnelles des TMD (forte absorption optique, émission intense) et l’excellente mobilité électronique du graphène ont récemment été développés. Afin de comprendre et d’optimiser le fonctionnement de ces dispositifs, il est indispensable d’analyser les couplages en champ proche à l’interface TMD-graphène et de déterminer les efficacités relatives des processus de transfert de charge net -susceptibles de donner lieu à un photocourant collecté par le canal de graphène- et de transfert direct d’excitons (i.e., de transfert d’énergie non-radiatif) du TMD vers le graphène.
C’est ce que viennent de faire des physiciens de l’Institut de Physique et Chimie des Matériaux de Strasbourg (IPCMS, UMR 7504) en étudiant des « hétérostructures de van der Waals » composées d’une monocouche de graphène déposée sur une monocouche de diséléniure de molybdène (MoSe2), à l’aide combinaison originale de micro-spectroscopies optiques. Les physiciens ont notamment mis en évidence le rôle clé du transfert d’énergie non radiatif, alors que ce processus avait largement été négligé jusqu’alors. Ces résultats sont publiés dans la revue Physical Review X.
En pratique, les physiciens ont utilisé des techniques de micro exfoliation et de transfert sec pour empiler une monocouche de graphène sur une monocouche de MoSe2. Par la suite, ils ont combiné des mesures de micro-photoluminescence à des mesures de spectroscopie micro-Raman sur de telles hétérostructures (cf. Figure 1). L’émission de lumière issue du MoSe2 (semiconducteur à gap direct) est fortement inhibée (à plus de 99%) en présence du graphène. Ce phénomène peut a priori être dû à un transfert de charge (électron ou trou) photoinduit ou au transfert non-radiatif de l’énergie d’une paire-électron-trou liée (exciton) vers le graphène. C’est là que les mesures Raman interviennent. En effet, la fréquence et la largeur des modes Raman vibrationnels des matériaux 2D (notamment du graphène) sont particulièrement sensibles à la densité surfacique de charge. Si les chercheurs ont pu démontrer sans ambiguïté la possibilité d’un transfert net d’électrons vers le graphène en présence de lumière, ils ont aussi constaté que l’émission de lumière et donc la dynamique des états excités dans MoSe2 était indépendante de l’existence de ce transfert de charge. Ce résultat important démontre que le transfert d’énergie non-radiatif constitue le canal de relaxation le plus rapide (avec un temps caractéristique d’environ une picoseconde) pour les états photoexcités du MoSe2 couplé au graphène.
Ce travail a des conséquences importantes. D’un point de vue fondamental, les hétérostructures de van der Waals s’imposent comme des systèmes modèles « donneur-accepteur » pour l’étude fondamentale du transfert de charge et d’énergie à deux dimensions. En ce qui concerne les applications, la plateforme « graphène-semiconducteur 2D » est omniprésente au sein de dispositifs opto-électroniques et opto-spintroniques émergents. La plupart de ces dispositifs exploitent le transfert de charge photoinduit du semiconducteur 2D vers le graphène. Il faudra désormais compter avec le transfert d’énergie et concevoir des solutions efficaces pour séparer les paires électron-trou transférées vers le graphène (et générer un photocourant) avant que les porteurs de charge ne dissipent rapidement leur énergie sous forme de chaleur.

Figure 1 (a) Illustration schématique du transfert d’énergie ou de charge d’une monocouche de dichalcogénure de métal de transition (e.g., MoSe2, donneur, en jaune et bleu) vers une monocouche de graphène (accepteur, en gris). (b) Image optique d’une hétérostructure graphène (Gr)/MoSe2. La zone couplée est matérialisée par le contour pointillé blanc. (c) Carte d’intensité de photoluminescence du MoSe2 mesurée sur cet échantillon. La photoluminescence est fortement inhibée sur la zone couplée. (d) Carte de la fréquence du mode Raman G du graphène. L’augmentation de la fréquence sur la zone couplée est la signature d’un transfert de charge.
Référence :
Charge versus energy transfer in atomically-thin graphene-transition metal dichalcogenide van der Waals heterostructures
Guillaume Froehlicher, Etienne Lorchat, Stéphane Berciaud
Physical Review X 8, 011007 (2018) doi: 10.1103/PhysRevX.8.011007
Preprint sur : https://arxiv.org/abs/1703.05396
Contact chercheur : Stéphane Berciaud, Professeur à l’université de Strasbourg
stephane.berciaud@ipcms.unistra.fr