Générer optiquement un gaz bidimensionnel d’électrons

28 Octobre 2025
Une équipe internationale démontre la photo-génération instantanée d’un gaz d’électrons à haute mobilité à l’interface entre deux oxides corrélés, produisant des effets de photo-conductance géants.

Les gaz d’électrons bidimensionnels (2DEG) sont un élément fondamental de l’électronique moderne. Parmi les différents systèmes capables de les héberger, les hétérostructures d’oxydes complexes se distinguent particulièrement. En plus d’offrir une très haute mobilité électronique, ces systèmes permettent d’exploiter des propriétés uniques, telles que le couplage spin-orbite et les fortes corrélations électroniques. Ces spécificités ouvrent la voie à de nouvelles fonctionnalités, tout en créant des ponts vers des domaines comme la spintronique et la photonique. Dans ce contexte, la capacité à manipuler les 2DEG à l’aide de stimuli externes constitue un graal. Dans cette étude, les chercheurs ont démontré la création instantanée par éclairage d’un 2DEG à l’interface entre deux oxydes où un tel état électronique est autrement absent. Ainsi, ce 2DEG disparaît tout aussi rapidement dès que l’éclairage est interrompu. Il en résulte un effet de photo-conductance géante : sous éclairage, la conductance électrique est jusqu’à cinq ordres de grandeur plus élevée que dans le noir ! Ces effets sont observés à l’interface entre des couches minces de Nd1-xSrxNiO2 (x = 0, 0,05 et 0,2) et leur substrat SrTiO3.

Pour obtenir ces résultats, les chercheurs ont d’abord épitaxié par ablation laser pulsé des couches ultraminces de la perovskite Nd1-xSrxNiO3 (x = 0, 0,05 et 0,2) sur du SrTiO3. Par la suite, un processus de réduction topotactique a permis d’obtenir la phase à couches infinies Nd1-xSrxNiO2. Des mesures de transport électrique sous éclairage avec lumière ultraviolette et visible ont mis en évidence les effets de photoconductance et leur dépendance de l’énergie des photons. Pour déceler les mécanismes microscopiques expliquant la génération du 2DEG, l’équipe a combiné une étude très poussée de l’interface par microscopie électronique en transmission (4D-STEM) et spectroscopie de perte d’énergie des électrons (EELS) avec des calculs avancés de la théorie de la fonctionnelle de la densité. Ils ont ainsi mis en évidence que les éléments clés pour la génération du 2DEG sont les reconstructions structurelles et électroniques à l’interface NdNiO2//SrTiO3, ainsi que l’existence d’un champ électrique interfacial intrinsèque. Celui-ci favorise l’occupation de la bande de conduction à haute mobilité Ti-3dxy par les électrons photoexcités, les attirant vers l’interface et les séparant des trous laissés dans la bande de valence du Ti.

Ces résultats sont très intéressants, à la fois d’un point de vue fondamental et pour leurs applications potentielles. D’une part, ils révèlent comment de légères variations de la structure électronique à l’interface – qu’elles soient liées aux terminaisons des couches atomiques, à l’état d’oxydation local ou à la température – peuvent moduler de manière significative le confinement et la distribution des porteurs photo-générés dans les bandes interfaciales. D’autre part, cette compréhension fine des mécanismes microscopiques sous-jacents ouvre des perspectives prometteuses pour l’ingénierie de la photo-réponse des électrons fortement corrélés. Parmi les applications envisagées, on peut citer, par exemple, le contrôle optique de l’état supraconducteur des nickelâtes à couches infinies.

Les travaux présentés dans cet article sont issus d’une collaboration entre plusieurs laboratoires en France (LAF, IPCMS, LPS, SOLEIL), en Allemagne (University of Duisburg-Essen), en Espagne (Universidad Complutense de Madrid) et aux États-Unis (University of Florida). Ces travaux font partie d’un effort plus vaste au CNRS, dédié à la manipulation d’états électroniques par la lumière dans des oxydes fortement corrélés et leurs hétérostructures, incluant des supraconducteurs, des matériaux spintroniques et électroniques, dans le cadre des projets EIC Pathfinder « JOSEPHINE », T-ERC_STG ORBIFUN et « SPINMAT » du PEPR SPIN.

Figure 1: Représentation de la photo génération d’un gaz d’électrons bidimensionnel à l’interface entre deux oxydes

Figure 2 (a) Image de microscopie électronique en transmission combinée à la spectroscopie de perte d’energie d’électrons d’une hétérostructure NdNiO2//SrTiO3. (c) Résistance électrique vs température sous éclairage et dans le noir, montrant l’effet de photo-conductance géante (d) bandes d’énergie et niveau de Fermi à l’interface et dans plusieurs plans atomiques à partir de celle-ci, calculés par la théorie de la fonctionnelle de la densité.

Référence : Giant photoconductance at infinite-layer nickelate/SrTiO3 interfaces via an optically induced high-mobility electron gas.
D. Sanchez-Manzano, G. Krieger, A. Raji, B. Geisler, V. Humbert, H. Jaffrès, J. Santamaría, R. Pentcheva, A. Gloter, D. Preziosi et Javier E. Villegas. Nature Materials, le 10 octobre 2025

Contacts :

Javier VILLEGAS, Laboratoire Albert Fert, CNRS, Thales, Université Paris-Saclay (javier.villegas@cnrs-thales.fr)

Daniele PREZIOSI, Institut de Physique et de Chimie des Matériaux de Strasbourg (daniele.preziosi@ipcms.unistra.fr)

Alexandre GLOTER, Laboratoire de Physique de Solides, Université Paris-Saclay (alexandre.gloter@universite-paris-saclay.fr)

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