Spectroscopie Micro-onde : Décalage Doppler d’onde de spin induit par un courant électrique

Deux chercheurs de l’IPCMS viennent de publier la première observation expérimentale d’un décalage Doppler d’onde de spin induit par un courant électrique. Ce phénomène -prédit il y a une quarantaine d’années- n’avait pas encore pu être observé. Or, cet effet permet une détermination précise du courant de spin, une quantité essentielle dans la compréhension des mécanismes de l’électronique de spin. L’utilisation de l’effet Doppler pour observer des objets en mouvement s’est assez largement étendue dans des domaines aussi variés que l’astronomie, la météorologie, la navigation ou l’imagerie médicale. L’effet Doppler se manifeste par le décalage de la fréquence d’une onde lorsque celle-ci est émise ou détectée par un objet en mouvement.

Dans un métal ferromagnétique, les électrons qui portent l’aimantation du matériau participent également à la conduction électrique (on parle de « magnétisme itinérant »). Ainsi, si ces électrons sont mis en mouvement par un courant électrique, on s’attend à ce que les ondes de précession de l’aimantation (appelées ondes de spin) soient décalées en fréquence [P. Lederer et D. Mills, Phys. Rev. 148, 542 (1966)]. Avec l’émergence du transfert de spin (manipulation de l’aimantation d’un ferromagnétique par un courant électrique), cet effet a récemment été remis au goût du jour. Une onde de spin présente en effet une configuration inhomogène d’aimantation parfaitement maîtrisée à travers laquelle l’effet de transfert de spin –qui s’identifie au décalage Doppler- peut-être mesuré précisément.

Figure : (Gauche) Image au microscope électronique à balayage d’un dispositif comprenant un ruban de permalloy et un couple d’antennes à onde de spin. (Droite) Mesure des signaux de propagation d’ondes de spin entre les deux antennes pour un courant I=-6 mA circulant dans le ruban (les sens de propagation sont indiqués en encart).

La principale difficulté expérimentale provient de la petitesse de l’effet. Pour l’observer, nous avons miniaturisé la technique de spectroscopie d’ondes de spin propagatives jusqu’à une échelle sub-micrométrique. En utilisant les ressources de nanofabrication du Consortium de Nanosciences et Nanotechnologies de Strasbourg (CN2S), nous avons réalisé des dispositifs intégrant un micro-ruban de permalloy (alliage nickel-fer) et un couple de serpentins conducteurs servant à exciter et détecter des ondes de spin se propageant le long du ruban avec une longueur d’onde de l’ordre du micromètre (voir la figure de gauche). A l’aide d’un analyseur de réseaux vectoriel, nous avons mesuré la réponse hyperfréquence de ces antennes, ce qui donne accès au signal de propagation des ondes de spin entre les deux antennes. En présence d’un courant électrique suffisant, le signal correspondant à une onde de spin se propageant dans le même sens que le flux d’électrons se retrouve décalé à plus haute fréquence que le signal correspondant à une onde de spin se propageant à l’encontre du flux d’électrons (voir la figure de droite). Ceci constitue une manifestation claire du phénomène de décalage Doppler. De la valeur du décalage, on tire une estimation de la polarisation en spin du courant électrique en régime diffusif de l’ordre de 50%.

Ref : Current-Induced Spin Wave Doppler Shift, V. Vlaminck and M. Bailleul, Science 322, 410 (2008).