Photonique de Spins

B1.Introduction : Qu’est-ce que la Photonique de Spins ?

La Photonique de Spins est un nouveau domaine de recherche dont le but est d’utiliser les photons pour stocker et traiter l’information sur des supports magnétiques. Actuellement, les méthodes les plus efficaces employées dans l’enregistrement de l’information utilisent des impulsions de champ magnétique qui permettent d’inscrire des bits d’information élémentaire. Cette approche, associée à un transport des électrons sans modifier leur état de spin, est au coeur d’un nouveau domaine scientifique appelé Spintronique (ou électronique de spins). De manière alternative, les photons peuvent être utilisés pour inscrire de l’information, comme par exemple le motif montré sur la figure 1, ainsi que pour étudier les propriétés fondamentales de l’interaction de la lumière avec les matériaux magnétiques. L’utilisation de photons pour écrire et effacer des bits d’information sur des supports magnétiques présente plusieurs avantages spécifiques aux laser : la longueur d’onde accordable, la durée très courte des impulsions lumineuses disponible en Optique Ultra-rapide, le moment de spin ±h des photons transporté par de la lumière polarisée circulairement. Ces différents avantages sont de fait déjà utilisés. Par exemple, la longueur d’onde laser peut être ajustée pour exciter de manière résonante des états de spins dans des semiconducteurs ; on peut envisager extrapoler la technologie actuelle bien au-delà de la bande passante d’un GigaHertz en utilisant des impulsions laser femtosecondes ; la lumière polarisée linéairement ou circulairement permet de sélectionner des transitions optiques spécifiquesdans des semiconducteurs ou d’induire des commutations toutes optiques dans des matériaux ferrimagnétiques. A l’heure actuelle la Photonique de Spins est un domaine scientifique émergent qui est loin de pouvoir concurrencer la technologie des dispositifs magnétiques, utilisée par exemple dans les disques durs d’ordinateurs de quelques Gigabytes et tournant à une vitesse de quelques milliers de tours/minute. Néanmoins, plusieurs découvertes faites ces dix dernières années sont très prometteuses.

Figure 1 : Logo Photonique de Spins écrit sur un film de CoPt3/Al2O3 avec des impulsions optiques femtosecondes.

B2. Quelques outils utilisés en Photonique de Spins ? les principes de la microscopie Kerr magnéto-optique femtoseconde

Les recherches en Photonique de Spins nécessitent d’étudier la dynamique d’aimantation à une échelle de temps très courte et à une échelle spatiale sub-micronique. La microscopie Kerr magnéto-optique femtoseconde est bien adaptée pour cela. En particulier, nous avons développé une technique d’imagerie magnéto-optique pompe-sonde (MOPPI). En résumé il s’agit d’un microscope confocal permettant d’analyser l’état de polarisation de la lumière réfléchie en fonction du retard pompe-sonde. La résolution temporelle est donnée par la corrélation des impulsions pompe et sonde (150 fs dans notre cas) qui possèdent une longueur d’onde différente (600 nm pour la sonde et 400 nm pour la pompe). La résolution spatiale est également donnée par la convolution des faisceaux gaussiens focalisés à la limite de diffraction, soit 300 nm. L’imagerie est obtenue en déplaçant l’échantilon avec une platine XY piézo-électrique. L’information sur l’aimantation est obtenue via l’analyse polarimétrique du faisceau sonde qui est au préalable filtré par un diaphragme afin d’éliminer la diffusion de l’échantillon. La grandeur physique intéressante est le signal Kerr différentiel normalisé qui, en première approximation, est proportionnel à l’aimantation différentielle normalisée ΔM/M, où ΔM représente la différence entre l’aimantation avec et sans faisceau pompe. Nous utilisons la technique MOPPI pour trois raisons différentes : écrire ou effacer un motif avec un seul faisceau ; mesurer la dynamique d’aimantation d’une structure magnétique particulière ; imager les structures magnétiques avec différents niveaux de contraste magnétique. La figure 2 montre les résolutions spatiale et temporelle de notre configuration MOPPI. La fig. 2a) représente les courbes d’aimantation de CoPt3 sur substrats d’Al2O3 (cercles rouges) et sur substrat de verre (cercles noirs). La fig. 2b) montre l’extension spatiale d’un plot de 900 nm et la fig. 2c) montre une image dynamique intégrée sur toute la surface du plot (en insert : variation d’aimantation aux temps longs). La fig. 2d) représente une coupe de la fig. 2b) en Y=0.

Figure 2 : Imagerie Magnéto-Optique Pompe-Sonde : résolutions spatiale et temporelle.

Figure 3 : Ecriture, lecture et effacement magnéto-optique.

Un exemple de réalisation de motifs magnéto-optiques est montré sur la figure 3. La figure 3a) représente l’acronyme de notre laboratoire IPCMS écrit sur un échantillon de CoPt3/Al2O3 avec une densité d’énergie de pompe Ewrite = 8 mJcm-2 sous un champ magnétique externe H = -50 Oe. L’image magnéto-optique pompe-sonde de l’acronyme est effectuée avec une densité Eread = 1 mJcm-2 sans champ externe (rémanence). En appliquant un champ magnétique négatif faible on peut effacer n’importe qu’elle partie du logo en induisant un renversement d’aimantation à l’état initial. Sur la fig. 3b), la lettre M du logo a été effacée avec la même énergie de pompe Eerase = 8 mJcm-2 et H = 50 Oe. Lorsqu’il n’y a pas de champ statique externe (H = 0) l’effet du faisceau pompe est de désaimanter l’échantillon de façon permanente. Par exemple, sur la fig. 3b) nous avons effacé la lettre C du logo IPCMS avec Eerase = 8 mJcm-2 et H = 0. Le signal MOPPI correspondant est maintenant égal à zéro dans cette région spatiale de l’échantillon ou l’aimantation est répartie en petits domaines magnétiques.

B3.« Nano-patterning » de films ferromagnétiques avec des impulsions optiques femtosecondes

Les films polycristallins ferromagnétiques présentent des avantages pour l’enregistrement d’information magnéto-optique. Nous avons utilisé des films multi-couches polycristallines déposées sur un substrat de verre et possédant un champ coercitif faible de 370 Oe. Les figures 4a) et 4b) représentent deux images MOPPI différentes de plots inscrits avec des densités d’énergie de pompe Ewrite = 4 mJcm-2 (fig. 4a) et Ewrite = 8mJcm-2 (fig. 4b). Dans les deux cas il n’y a pas de champ magnétique externe (H = 0) et les images MOPPI sont lues avec Eread = 1 mJcm-2. De façon évidente, pour la densité d’excitation la plus faible (fig. 4a) un plot est écrit avec une aimantation opposée à celle du film environnant. Au contraire, pour la densité d’excitation de pompe la plus forte (fig. 4b), une structure en domaine apparaît. Nous avons étudié cette structure multi-domaines par Microscopy à Force Magnétique (MFM). Les figures 4c) et 4d) représentent les images correspondant à 4a) et 4b). Le plot commuté est un mono-domaine magnétique avec un diamètre moyen inférieur à 500 nm. . Au contraire la fragmentation en plusieurs domaines se voit très clairement pour l’intensité la plus grande. Remarquons que nous n’avons jamais observé la commutation d’un plot unique avec H = 0 dans le cas du film de CoPt3/Al2O3. Cela suggère que c’est la structure polycristalline en grains du film de CoPt/verre qui favorise la formation d’un domaine unique pour une intensité de pompe pas trop élevée lorsque H=0. Le contrôle optique de structures magnétiques sans champ externe dépend donc beaucoup de l’état cristallin du matériau magnétique sur lequel sont inscrits les plots.

Figure 4 : Commutation magnéto-optique locale et formation de domaines sur un film polycristallin ferromagnétique, induite par des impulsions laser femtosecondes.