Propriétés Physiques du Désordre et de la Frustration Géométrique

Nous nous sommes intéressés, en particulier, aux mousses pour leur propriétés mécaniques (se comportent-elles comme un solide, un liquide (interfaces), ou un gaz (bulles)), leur évolution, et le rôle des défauts topologiques (dislocations, disinclinaisons et non-métricité (matière ajoutée)). Notamment, le renouvellement de la cuticule du crabe nous a fourni une excellente application de ces concepts sur une structure cellulaire bi-dimensionnelle (Rivier N., Miri M.F., Oguey C. : Colloids and Surfaces A : Physicochem. Eng. Aspects 263 (2005) 39-45). La thèse de E. Collé nous a permis de mettre en évidence le fait qu’une mousse ordonnée dans un tube se comporte comme un solide mou (Collé E., Rivier N. : Rhéologie et Interfaces, GFR 39 (2004) 22-26), avec glissement et montée de dislocations induites mécaniquement par des constrictions et des virages du tube en collaboration avec D. Reinelt (Dallas, SMU) pour les simulations.

En collaboration avec J. F. Sadoc et Y. Bouligand (ACI Biofrustration), nous avons étudié la structure du collagène qui résulte d’un compromis subtil entre empilement compact de molécules en triple hélice et la présence d’espacements (gaps) pour donner à la fibrille de collagène sa flexibilité (Rivier N., Sadoc J.-F. : Topology in Molecular Biology, DNA and Proteins, M. I. Monastyrsky, ed.. Springer 2007, 147-162).

Un autre exemple de frustration géométrique est donné par la structure de sphères colloïdales magnétiques empilées sur un plan, étudiée expérimentalement à Constance par L. Baraban dans le cadre d’un projet du Collège International Postgrade (IRTG, Constance (D)-Strasbourg-Grenoble). L. Baraban a découvert récemment une structure magnétique qui est la structure de Néel pour un antiferromagnétique triangulaire, d’orientation bloquée sur la structure triangulaire sous-jacente. L’énergie magnétique est extensive quand bien même les interactions dipole-dipole sont de portée infinie et frustrées.

L’axe de recherche le plus prometteur se situe dans les matériaux granulaires durs. Nous pouvons expliquer leur stabilité (effet de voute, ou effet Janssen, causé par des circuits impairs de grains en contact) et la transition de phase de blocage (jamming) entre liquide sec et solide fragile désordonné. En l’absence de circuits impairs, ou si ces derniers sont cassés sous cisaillement, le matériau granulaire est un liquide « sec », où les grains roulent les uns sur les autres sans glisser. On peut aussi penser à un roulement à billes tridimensionnel (Mahmoodi Baram R., Herrmann H.J., Rivier N., Phys. Rev. Letters 93 (2004) 044301-4, Rivier N., Powder and Grains 2005, Balkema, Leiden, 29-32 (R. García-Rojo, H. J. Herrmann, S. McNamara, eds)). Puisque les forces entre grains sont purement répulsives, la dynamique d’un matériau granulaire est celle des gravitons plutôt que des phonons ordinaires. On étudie la dynamique sur un graphe dont les sommets sont les grains et les arêtes, les contacts. Le rôle essentiel des circuits impairs est celui de la granularité de la matière, représenté simplement par un graphe – un modèle continu uniforme d’un matériau granulaire avec circuits impairs n’existe pas, car zéro est pair, et la vorticité impaire est un défaut topologique caractérisé par son existence plutôt que par son intensité. De plus, les circuits impairs sont les perles de colliers qui sont étendues dans les matériaux granulaires désordonnés, alors qu’elles sont petites dans les granulaires ordonnés. Il s’ensuit que la transition de blocage dans un matériau désordonné est essentiellement diffèrente de la cristallisation. Pour cristalliser un matériau granulaire dur, il faut le taper par le bas. Pour débloquer un matériau désordonné, il faut le cisailler, c’est à dire, le comprimer en opposition de phase par les côtés opposés. La chaleur spécifique est élevée dans les deux cas, mais complètement différente (modes localisés de type Einstein pour la cristallisation, modes délocalisés de densité constante pour le blocage). Toutes ces propriétés, et l’essentiel de la physique, sont illustrés très simplement et directement par une théorie algébrique des graphes (Rivier N., Dynamics of jammed granular matter, Eur. Phys. J. E, (2007) in press)

L’image montre un empilement de sphères sans circuit impair (il est bichromatique et deux sphères en contact doivent avoir des couleurs différentes), construit par R. Mahmoodi-Baram, et H. J. Herrmann, Fractals 12, 293 (2004). Il coule comme un roulement à billes : les sphères roulent les unes sur les autres sans glisser.

Perspectives

Si la transition de déblocage est comprise en détail (la rupture d’un contact par circuit impair sous cisaillement rétrécit la boucle de vorticité impaire, qui monte), comment décrire le blocage ? Peut-on le provoquer comme on cristallise des empilements de sphères dures par un protocole de recuit ?